Hommage à André OUZOULIAS– Christine WATTEYNE
Jeudi 6 Février 2014, André Ouzoulias est décédé. Ce chercheur français s’est intéressé à l’apprentissage de l’écriture et de la lecture dans la perspective de réduire les inégalités.
Le café pédagogique publie une série de 4 articles sur le sujet que vous pouvez retrouver sur le site.
A lire sans modération !
Le rapport au savoir : une grille de compréhension de la difficulté à entrer dans les apprentissages – Catherine BOURGOIN
Pendant longtemps, pour expliquer l’échec ou la réussite scolaire, a prévalu la théorie du don. Celui qui réussissait était celui qui était doué, celui qui échouait ne l’était pas. Cette théorie a été remise en cause par Bourdieu. Dans La Reproduction, il met en évidence une corrélation entre position sociale des parents et position scolaire des enfants. La réussite ou l’échec scolaire d’un enfant a donc un lien avec son origine sociale. Mais cette théorie se révèle incapable d’expliquer les réussites d’élèves qui statistiquement auraient du échouer. C’est en s’intéressant à ces élèves-là que l’équipe ESCOL a conçu le concept de rapport au savoir. Charlot définit le rapport au savoir comme « l’ensemble des relations qu’un sujet entretient avec tout ce qui relève de « l’apprendre » et du savoir. » Il distingue deux dimensions dans ce rapport au savoir : la dimension épistémique qu’il résume dans cette question : « apprendre, c’est avoir quel type d’activité ? » et la dimension identitaire, autrement dit « qui suis-je pour les autres et pour moi-même moi qui suis capable d’apprendre cela ou moi qui n’y parviens pas ? ». Différenciant trois « figures de l’apprendre » – l’appropriation d’un objet-savoir, la maîtrise d’une activité et celle des relations à soi, aux autres – il insiste sur le fait qu’il ne s’agit aucunement de caractéristiques « naturelles » d’un élève mais de rapports au savoir différents. Pour lui, il n’existe donc pas d’esprit « concret », « pratique » ou « abstrait » mais différentes relations à l’apprendre qui se sont construites au cours de l’histoire du sujet. Dans plusieurs contextes scolaires, l’équipe ESCOL a démontré que c’était de cet ensemble de relations au savoir que dépendait l’apprentissage. Cette approche est particulièrement intéressante puisqu’elle redonne du pouvoir à l’enseignant qui peut agir sur le rapport au savoir de ses élèves afin de les faire réussir.
Pour en faire un outil d’analyse efficient, on peut décomposer le rapport au savoir. Dans la dimension épistémique, on peut distinguer
• le rapport au savoir lui-même, c’est-à-dire le rapport qu’entretient l’élève avec le savoir disciplinaire tel qu’il est enseigné à l’Ecole mais aussi le rapport à un savoir plus pratique, celui qu’il mobilise dans son quotidien sans oublier le rapport au savoir considéré comme une culture savante distinctive
• le rapport à l’apprentissage, c’est-à-dire la nature même de l’acte (l’appropriation d’un savoir-objet, la maîtrise d’une activité ou d’une relation) ainsi que le processus d’apprentissage
• le rapport aux tâches scolaires, c’est-à-dire les activités de classe, les devoirs et leçons à la maison…
Quant à la dimension identitaire, elle se compose des
• rapport à l’école comme milieu de vie, c’est-à-dire, la confrontation avec l’école en tant que lieu mais aussi les relations avec les autres élèves et avec l’autorité institutionnelle (direction, professeurs…)
• rapport à l’autrui significatif, autrement dit les parents, la fratrie, les amis…
• rapport à soi-même, c’est-à-dire le projet de scolarisation, les modèles identificatoires, le futur anticipé professionnel bien sûr mais aussi personnel
Les travaux de l’équipe ESCOL (voir bibliographie ci-dessous) permettent pour chacun des « rapports à » présentés ci-dessus, de construire une typologie des conceptions des élèves en les classant en deux rubriques :
• les conceptions qui favorisent les apprentissages
• les conceptions qui nuisent aux apprentissages
C’est à partir de cette typologie qu’il est ensuite possible de construire des pistes d’action spécifiques à mettre en œuvre dans la classe pour lutter contre l’échec scolaire. Si cette thématique vous intéresse, si vous souhaitez engager une réflexion en équipe, que ce soit en primaire ou en collège, n’hésitez pas à contacter l’ISFEC Bourgogne-Franche-Comté.
BIBLIOGRAPHIE
BAUTIER E., CHARLOT B. et ROCHEX J.-Y., École et savoir dans les banlieues… et ailleurs, Paris, Armand Colin, 1992.
BAUTIER E., CHARLOT B. et ROCHEX J.-Y., « Entre apprentissages et métier d’élève : le rapport au savoir », in Van Zanten A. (sous la direction de), « L’école, l’état des savoirs » éditions La Découverte, 2000.
BAUTIER E., ROCHEX J.-Y., “Apprendre : ces malentendus qui font la différence”, in Jean-Pierre Terrail (dir.), La scolarisation de la France. Critique de l’état des lieux, Paris, Éd. La Dispute, 1997. Texte repris dans Jérôme Deauvieau et Jean-Pierre Terrail (dir.), Les sociologues, l’école et la transmission des savoirs, Paris, La Dispute, 2007.
BAUTIER E., RAYOU P., Les inégalités d’apprentissage. Programmes, pratiques et malentendus scolaires, PUF, 2009
BONNERY S., Comprendre l’échec scolaire. Elèves en difficultés et dispositifs pédagogiques, La Dispute, 2007
BONNERY S., Décrochage scolaire et difficultés : quelle construction de l’enfant en élève dans la confrontation à l’Ecole. La nouvelle revue de l’AIS, 12/2003, 24, p. 47-54.
BONNERY S., Scénarisation des dispositifs pédagogiques et inégalités d’apprentissage, Revue française de pédagogie, n°167, pp. 13-23, avril-mai-juin 2009
CHARLOT B., Du rapport au savoir. Eléments pour une théorie, Anthropos, 97.
ROCHEX J.-Y., Le sens de l’expérience scolaire. Entre activité et subjectivité, Paris, PUF, 1995.